3 questions à…

Pascal Perri, 
Fondateur de Oui à l’innovation !,
économiste et géographe, auteur de Google, un ami qui ne vous veut pas que du bien (2013)

Offrir un cadre juridique renouvelé et adapté au traitement des données personnelles, tel est l’objectif du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) qui entre en vigueur ce vendredi 25 mai. Si la démarche est louable, les entreprises les plus innovantes, notamment fondées sur le design thinking, mais moins connues sont-elles gagnantes ? Le RGPD est-il suffisant pour répondre à la révolution des objets connectés qui se dessine déjà ? Décryptage avec Pascal Perri, fondateur de Oui à l’innovation !

L’entrée en vigueur de nouvelles contraintes pour les entreprises risque-t-elle de freiner l’innovation ?

Le RGPD a pour objectif de remettre les compteurs de la légalité à zéro. Ses conséquences peuvent être très positives sur des données d’organismes publics comme les données de santé, qui concernent notre intimité. Mais elle aura bien sûr une incidence économique.

Pour être tout à fait honnête, il faut admettre que la collecte des données a permis un certain nombre d’innovations, notamment grâce à l’approche du design thinking. Celle-ci permet à des entreprises d’anticiper des besoins non déclarés pour produire de l’innovation en termes de services. Il y a deux ans, le Paris Saint – Germain a mené, en collectant les données de ses supporters, une vaste opération pour connaître les vœux non exprimés susceptibles de se transformer en services supplémentaires. De nombreuses réponses avaient été recueillies, qui ont été effectivement transformées en services tendant à fidéliser les supporters, comme le fait d’avoir accès au plan du stade sur les smartphones ou de parier en ligne pendant le match… Ce type de démarche pourrait devenir plus complexe pour les petites entreprises.

Les grands gagnants de la réforme sont-ils ceux précisément visés par cette réforme ?

Les règles de protection des données personnelles sont fixées pour contrer la société « big brother » et ainsi répondre au modèle économique propre aux grands acteurs de l’Internet, les GAFAM. Celui-ci est fondé sur la séquestration de données à l’insu de l’internaute : pratiques cultuelles, habitudes de consommation, etc… Ces données sont des sources de renseignements multiples à haute valeur commerciale : elles permettent d’alimenter la connaissance du client. Le RGPD a vocation à alerter les consommateurs sur ce fait, d’autant que la directive sur le traitement des données en vigueur date de 1995 ! Ainsi, un twittos remarquait récemment qu’il avait reçu par mail une demande de « confirmer l’utilisation de ses données » de la part d’un émetteur à la newsletter duquel il ne s’était jamais abonné… Situation cocasse !

En réalité, on est déjà dans la société « big brother ». Le RGPD ne changera rien. Les plus gros et les plus puissants auront les moyens non seulement de s’adapter à la loi, mais aussi d’éviter les sanctions. Certes, celles-ci sont annoncées à hauteur de 4% du chiffre d’affaires, mais il s’agit de sanctions cosmétiques ! La situation de domination des GAFAM est aujourd’hui actée ; les usages déterminent le comportement des utilisateurs… Avec Internet, les smartphones, et de manière plus générale le numérique, tous les usages ont changé, ce qui présente un caractère irréversible. Une grande partie des internautes sont prêts à faire un trait sur leurs propres droits pour continuer à utiliser des services qui leurs sont aujourd’hui devenus indispensables. C’est particulièrement vrai de Facebook : de plus en plus d’utilisateurs prennent conscience d’être victime d’une intrusion dans leur vie publique mais continuent néanmoins à se connecter plusieurs fois par jour à leur fil. La seule question qui demeure est simple : « jusqu’à quand ? ».

En dépit du tapage médiatique au sujet de l’utilisation des données par les GAFAM, aucun mouvement collectif unifié d’ampleur n’a vu le jour. Cela prouve bien que nous ne mesurons pas à quel point les grands acteurs de l’Internet ont une connaissance intime de notre comportement, de nos inspirations, de nos pouvoirs d’achats. Pour la première fois de l’histoire, des entreprises savent presque tout des consommateurs. D’un autre côté, il faudrait détenir une vraie expertise juridique pour lire et comprendre l’intégralité des Conditions Générales d’Utilisation de 10 ou 12 pages, lorsque l’éventuel « piège » sur l’utilisation des données personnelles se niche à la page 9…

Les entreprises françaises sont-elles bien préparées ?

La culture numérique en France est moins développée… En 2016, 68% des entreprises disposaient d’un site Web, contre 77% des entreprises de l’Union européenne à 28 et 95% pour le pays leader dans le domaine*. Cela montre le faible intérêt porté à la question. Or Internet est tout de même un terrain de guerre économique… La vraie question, que le RGPD ne résout pas, est dans l’encadrement de la troisième grande révolution de l’Internet : les objets connectés qui représentent de formidables capteurs de données. Le réfrigérateur connecté indique les denrées contenues donc les achats des consommateurs, leurs préférences, etc. Déjà se dessinent les objets utilitaires comme la maison ou la voiture connectée qui se regroupent sous le vocable de « smart city ». Tous ces foyers d’innovation sont susceptibles de représenter des services, à condition qu’ils soient correctement encadrés.

* Edition 2017 des chiffres clés du numérique publiés par la Direction Générale des Entreprises