Le statut des chercheurs est-il selon vous correctement valorisé en France?

Comment nous situons-nous par rapport à nos voisins?

Les métiers de la recherche souffrent en France d’un manque de prestige. La précarité du statut de chercheur n’y est pas étrangère, une aberration dans une économie de la connaissance ! Les chercheurs des universités françaises font d’abord face à une mauvaise utilisation de leur temps, accablés par des lourdeurs administratives, et des charges d’enseignement trop élevées – elles sont en France de 192h/an contre environ 80h au Royaume-Uni, qui offre par ailleurs davantage de flexibilité dans la répartition des heures, dont la répartition est laissée à la charge des départements. En contrepartie, les chercheurs britanniques se plient à des obligations de permanence pour être au contact des étudiants, permettant des échanges plus profonds et donc potentiellement plus porteurs pour leurs projets mutuels. La politique salariale dans la recherche publique est également à pointer du doigt, tant les comparaisons internationales de rémunérations sont frappantes, avec des salaires plus de deux fois plus élevés aux Etats-Unis qu’en France à niveau équivalent. La relative faiblesse des salaires proposés aux chercheurs est notamment contrainte, dans les universités publiques, par des politiques de recrutement trop figées.

Les salaires ne sont pas davantage valorisants dans le privé, le salaire d’entrée sur le marché des doctorants (bac +8) est plus faible que celui des diplômés de masters. Cette réalité se traduit notamment par des rémunérations plus attrayantes pour des fonctions de management à destination des diplômés de grandes écoles comme l’ENS ou l’Ecole polytechnique, leurs diplômés étant ainsi incités à se détourner de la recherche. Cela a pour conséquence de désinciter nos grandes écoles à valoriser des parcours doctoraux pour leurs étudiants français, alors que ces dernières pourraient jouer un rôle moteur dans la réhabilitation de ces formations. Cette sous-utilisation des doctorants par le secteur privé se retrouve jusque dans les comités exécutifs des sociétés françaises du top-100 mondial, dont seulement 20% des postes sont occupés par des chercheurs, contre trois fois plus en Allemagne.

Revaloriser le statut de chercheur passe donc par une juste utilisation de leurs ressources au sein de la recherche publique, en rationalisant leurs activités non dévouées à la recherche, à l’image de ce que propose l’Institut de France à une poignée de chercheurs et pour une durée limitée. Par ailleurs, la politique salariale est déterminante pour revaloriser les métiers de la recherche, que ce soit dans le public ou dans le privé, un travail qui ne se fait pas seulement une fois le doctorat en poche, mais dès le début des études doctorales, appelant à revaloriser les thèses CIFRE qui permettent aux entreprises de financer les doctorants et mieux les insérer sur le marché du travail.

A suivre : 

(4/4) En quoi l’innovation est-elle directement corrélée à la compétitivité de notre économie et de notre modèle social? 

A propos des auteurs

Sophie Vermeille est fondatrice et Présidente de Droit et Croissance. Elle est également avocate en corporate et restructuring au sein du cabinet DLA Piper à Paris. Sophie est enfin chercheur au Laboratoire d’économie du droit de Paris 2 Panthéon – Assas, et chargée d’enseignement à HEC. Elle a publié de nombreux articles mettant en évidence les insuffisances du droit français et, en particulier, du droit des faillites. Elle a, ces dernières années, été étroitement associée par les pouvoirs publics aux discussions portant sur la réforme du droit dans ce domaine.

Mathieu Kohmann est membre de l’Institut Droit & Croissance. Il est diplômé de Sciences Po Paris après avoir effectué ses études sur le campus européen, franco-allemand de Sciences Po ainsi qu’à la Princeton University aux Etats-Unis. Actuellement, il est étudiant dans le Master droit économique de l’École de droit de Sciences Po qui lui a permis de faire une partie de ses études de droit à la Stanford Law School. Il retournera aux Etats-Unis dans le cadre d’un Master à la Harvard Law School en août 2016.

Mathieu Luinaud est membre de Droit et Croissance. Il est diplômé de Sciences Po et de l’Ecole Polytechnique (MX2013) en économie et en politiques publiques, ainsi que diplômé en droit de l’Université Paris-II Panthéon-Assas et de l’Université de Pennsylvanie.

A propos de Droit & Croissance

Créé en 2012, Droit & Croissance est un laboratoire de recherche indépendant ayant pour ambition de favoriser la croissance en France par une meilleure efficacité du droit sur le plan économique. Droit & Croissance procède du double constat que la règle de droit est un levier de croissance tandis que le cloisonnement en France entre droit et économie nuit à la qualité de la norme. Ce constat a conduit principalement un petit groupe d’avocats d’affaires à s’associer et s’entourer de jeunes chercheurs en droit et en économie pour raisonner autrement et, dans une optique d’efficacité. Droit & Croissance entend promouvoir l’analyse économique du droit, approche pluridisciplinaire consistant à étudier l’effet économique des normes juridiques, afin de proposer des réformes du droit français pérennes et efficaces. Droit & Croissance met son expertise au service des élites dirigeantes et des décideurs économiques de notre pays dans le cadre d’un dialogue constant. Les actions et l’expertise de Droit & Croissance sont désormais reconnues, à la fois au sein des pouvoirs publics et dans le milieu académique, en France comme à l’étranger, grâce à de nombreuses publications et interventions menées depuis 2012.

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