Vendredi 26 avril dernier, le Groupe Baron Philippe de Rothschild (BPR) annonçait vouloir supprimer toute trace de produits classés Cancérigènes, Mutagènes et Reprotoxiques (CMR) dans ses vins. La demande en est faite contractuellement à ses apporteurs. L’objectif fermement affiché est le suivant : proscrire toute trace de CMR en 2018, de perturbateurs endocriniens en 2020, pour atteindre le minimum possible de résidus phytos à l’horizon 2022. Pourtant, il n’est pas fait mention du cuivre, utilisé pour protéger les vignes, ni même d’une autre molécule classée CMR, celle de l’alcool lui-même : l’éthanol… Le « sans phytos » est-il la seule réponse valable ?

Dans l’ensemble des vignobles français, de plus en plus de viticulteurs et de coopératives ou même d’Appellations régionales s’engagent pour l’exclusion des produits classés CMR de leurs programmes de traitements phytosanitaires des vignes. Ces différentes initiatives rentrent dans le cadre d’un mouvement général de la viticulture française vers le « sans-phyto ». Même si on ne peut exclure d’emblée une intention « sincère » et altruiste de la part des viticulteurs, cette tendance est à mettre en rapport avec les pressions de plus en plus fortes exercées par les ONG écologistes. Celles-ci mettent régulièrement en œuvre des campagnes habiles, simplistes et catastrophistes à destination des consommateurs, dont l’intérêt pour le « naturel » va croissant. Quant à la grande distribution, avant tout par intérêt commercial, elle doit suivre le mouvement : elle exige de plus en plus de vins sans traces de pesticides et tente de mettre en place depuis quelques mois une logique d’exclusion des substances phytosanitaires de synthèse des produits qu’elle vend.

Il faut tout d’abord noter que le label « sans-phyto » ou « zéro pesticide » est évidemment un leurre : les raisins à l’origine des vins estampillés bio ne sont pas exempts de traitements. Cuivre, souffre sont employés pour traiter les maladies de la vigne, d’autant plus souvent que ces substances sont moins efficaces que leurs « homologues » de synthèse. Il suffit cependant d’examiner les sols des parcelles concernées pour voir qu’elles ne sont pas sans conséquences pour l’environnement. Quant aux substances « cancérigène, mutagènes et reprotoxiques », elles sont régulièrement accusées de tous les maux. Derrière cet acronyme se cachent de très nombreux produits comme l’amiante. Les amalgames sont vite faits ! Mais comparaison n’est pas raison. Certains articles de presse comparent le scandale de l’amiante au futur « scandale » des pesticides. Ce que les acteurs de la filière oublient un peu vite, c’est que l’alcool, composant essentiel du vin est lui-même classé CMR. Faudrait-il donc pour vendre du vin « sain » faire du vin sans alcool ? Certains ont essayé, sans succès !

Le retrait des phytosanitaires classés « CMR » dans le traitement des vignes remporterait évidemment l’adhésion des consommateurs (qui serait contre ?!). La démarche que recouvrent les initiatives de la profession pose cependant de lourdes questions. Quelle viticulture veut-on vraiment pour demain ?  Veut-on une viticulture compétitive, capable d’exporter des produits dont la qualité est reconnue dans le monde ? Où veut-on une viticulture recroquevillée sur un schéma national ? Toutes questions utiles, sauf à interdire purement et simplement le vin au mépris des lois scientifiques des seuils d’exposition !

Quel rôle doit avoir la grande et moyenne distribution ? Doit-elle édicter ses propres règles aux viticulteurs au risque de leur imposer une sorte de « réglementation privée » plus drastique que l’officielle ? La grande et moyenne distribution représente aujourd’hui 65% des débouchés de la viticulture française. Les campagnes publicitaires lancées ces derniers mois par des enseignes comme E.Leclerc, Carrefour ou encore Monoprix ne laissent aucun doute sur leurs intentions : à terme, il ne faudra plus aucun résidus de pesticides dans les produits vendus sur leurs étalages. Une « chasse aux sorcières » qui passe évidemment par de fortes pressions sur la filière vin : « je mets ton vin en rayon mais au moindre résidu détecté par mon labo, exit ! ». Alors même que notre réglementation, avec ses LMR (Limites Maximales de Résidus), est l’une des plus sévères au monde ! Une fois encore, c’est la question du seuil d’exposition au produit qui mérite seule d’être prise en compte.

Il n’est évidemment pas question de dénoncer ici toutes les initiatives visant à utiliser moins de produits phytosanitaires dans le traitement des vignes mais de bien éclairer sur les conséquences économiques, sociales mais aussi environnementales d’une suppression précipitée. Il est loin le temps d’une viticulture française dominant le monde. Espagne, Etats-Unis, Chili, Australie : ces pays occupent aujourd’hui une part croissante sur le marché mondial, grâce notamment à des surfaces en culture immenses par rapport à nos vignobles.

Des stratégies « sans CMR » peuvent évidemment être mises en place, mais il faut en évaluer les risques qualitatifs et quantitatifs. Certaines années peuvent être bonnes et d’autres catastrophiques. A titre d’exemple, sans phytosanitaires classés CMR, de nombreux viticulteurs n’auraient jamais du produire leur millésime 2016. Veut-on pour l’avenir prendre ce type de risque ? Reste la question fondamentale : la santé des consommateurs.

Dénoncer la présence de traces de CMR dans l’alcool est une absurdité puisque la première molécule CMR est… l’alcool lui-même !!

Bref, à trop vouloir faire du « sans », on risque de se trouver sans vin à table !