Alors que la Russie a réussi à mettre la main sur le blé ukrainien, l’Europe impose à ses pays membres de mettre en oeuvre une stratégie agricole qui va faire baisser les rendements et augmenter les prix. De quoi nous rendre dépendants des importations russes, cette fois agricoles, prévient Pascal Perri.

« Un courant se déploie en France, hostile à la mécanisation de l’agriculture, favorable au retour de la main-d’oeuvre. » 

La guerre de conquête russe peut encore durer longtemps, mais tout indique à ce stade que l’Ukraine ne regagnera pas à brefs délais ce qui a été perdu, entre sa frontière nord avec la Russie, la côte longeant la mer d’Azov et la bande côtière de la mer Noire, au moins jusqu’à l’embouchure du Dniepr. Les régions gagnées et placées sous administration du régime Poutine représentent environ 30 % du PIB ukrainien. Elles comprennent des richesses minières, industrielles et agricoles. Les « administrateurs russes » laissent toute liberté aux fermiers ukrainiens de produire, ils peuvent à l’occasion leur fournir des semences, des engrais et du carburant, mais la Russie prélève une part de la production. Le modèle est celui d’une économie féodo-vassalique dans laquelle un seigneur et maître de guerre réclame sa part.

Grâce au contrôle des ports, les Russes dominent la mer d’Azov et peuvent ainsi alimenter leur propre marché intérieur et/ou organiser une filière d’exportation en utilisant également leur réseau navigable Don-Volga. La Russie profite de surcroît du concours bienveillant de la Turquie transformée en plateforme d’échanges commerciaux internationaux. Pour contourner l’embargo sur son pétrole, la Russie le céderait à la Turquie, laquelle le revendrait « blanchi » aux clients historiques des compagnies russes en prenant au passage une petite marge bénéficiaire. Voilà donc comment se présente le tableau après environ 120 jours de guerre. La Russie a annexé des territoires qu’elle considère comme son espace naturel historique et avec eux ses richesses, notamment agricoles.

Le rôle des pesticides

C’est le moment que les Européens ont choisi pour mettre en oeuvre leur politique dite « Farm to Fork » visant à réduire massivement les traitements des plantes : -50 % de pesticides et -20 % d’engrais. Un mot sur les pesticides, car prononcer leur nom soulève parfois un mouvement d’effroi. Les pesticides ont été inventés pour lutter contre la peste qui n’est pas la meilleure amie de l’humanité ! Ce sont des médicaments des plantes qui les protègent des ravageurs. Les pesticides sont aux plantes ce que les médicaments sont aux hommes. En l’état, les conséquences de la réforme Farm to Fork ont été modélisées par l’université de Kiel en Allemagne et par celle de Wageningen aux Pays-Bas : la production agricole européenne baissera de 12 % et les prix agricoles augmenteront de 17 % !

ans quelques jours pourtant, la Commission européenne annoncera un projet de directive s’imposant aux Etats membres sur les modalités de réduction des pesticides. Toutes les expérimentations réalisées dans des fermes pilotes sous observation de l’Inrae montrent que les objectifs sont trop ambitieux et techniquement intenables.

Que risquons-nous dans ces conditions ? Que les Etats épinglés par la Cour de justice soient sanctionnés à deux niveaux, d’abord en échouant à nourrir leur propre population, ensuite en payant des amendes pour défaut d’application des règles européennes. Et comme si ce n’était pas suffisant, un courant se déploie en France, hostile à la mécanisation de l’agriculture, favorable au retour de la main-d’oeuvre quand ce n’est pas Jean-Luc Mélenchon qui souhaite recruter 1 million d’agriculteurs pour développer une « agriculture paysanne ». Au moment où les questions de souveraineté alimentaire se posent crûment, au moment où notre dépendance à l’égard des importations russes menace de grandir, de sympathiques poètes des campagnes rêvent de Martine à la ferme ! Après avoir détruit l’industrie française, saurons nous aussi abattre son agriculture ?

Pascal Perri, via Les Echos