La confusion entre risque et danger pousse le législateur français à durcir les normes. Pour Pascal Perri, économiste, ces injonctions précipitées l’emportent sur le temps industriel nécessaire à toute transition vers un modèle plus vertueux.

Au cours des deux derniers mois, l’industrie automobile européenne a perdu 20.000 emplois. En France, la guerre ouverte contre les moteurs diesels, pourtant plus vertueux depuis les normes euro V et VI,menace directement  entre 10.000 et 15.000 postes de travail. Tout le monde comprendrait que l’emploi recule sur un marché mondial en repli. Mais, en 2019, les analystes prévoient un rebond de 4 % du marché chinois avec au moins 29 millions de voitures neuves vendues.

La transition vers une économie moins carbonée est légitime et souhaitable. La bonne question n’est pas de savoir pourquoi, mais comment ? Dans l’automobile, comme dans tous les secteurs, les industriels sont appelés à innover pour dépasser les rentes technologiques. Ces rentes ont été acquises au prix de nombreuses années de recherche et d’innovation quand elles n’étaient pas directement soutenues par des politiques publiques.

Le temps de la recherche est nécessairement plus long que celui de l’émotion. Le changement de modèle mobilise un capital naturel à haute valeur ajoutée : le temps. Or, malheureusement, les injonctions politiques radicales portées dans la précipitation l’emportent sur le temps industriel de la transition.

Complexité normative

Le phénomène de désindustrialisation auquel nous sommes confrontés est l’enfant légitime des délocalisations, mais il est aussi l’enfant naturel de nos propres errements. La confusion entre risque et danger particulièrement sensible en France pousse le législateur et l’administration à augmenter sans cesse le poids des règlements et des lois. Nous avons collectivement accouché de politiques normatives contre-productives. Elles comportent toutes un coût caché. La surreprésentation des procédures administratives, l’esprit tatillon, la multiplication des interlocuteurs, bref la complexité française forment un autre plafond de verre.

L’actualité récente nous offre deux exemples de ces externalités sociales négatives. Safran, groupe de hautes technologies français, devenu avec l’acquisition de Zodiac en 2018 – le numéro deux mondial des équipementiers aéronautiques – a récemment annoncé son intention de bâtir deux nouvelles usines en France, l’une dédiée à l’impression 3D, l’autre spécialisée dans la production de pièces en carbone pour les avions de ligne. « L’investissement se monte au total à 300 millions d’euros et pourrait générer environ 3.000 emplois » affirmait le directeur général, Philippe Petitcolin  dans les colonnes de « l’Usine Nouvelle ».

Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, a dû payer de sa personne pour dénouer les complications qui menaçaient le dossier. Elles étaient nombreuses et ainsi résumées par le dirigeant du groupe Safran : « Il y a des gens de bonne volonté dans les ministères, mais dès que l’on descend dans les échelons inférieurs, régionaux, départementaux, puis les communautés de communes et les communes, on rentre dans un ensemble administratif très complexe où chacun se cantonne à ses prérogatives. »

Injonctions politiques

Le deuxième exemple de suicide industriel se jouera cette semaine devant la représentation nationale. Les députés LREM, contre l’avis du gouvernement, pourraient voter une disposition visant à interdire le stockage sur le territoire de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives. Il ne s’agit pas de distribuer ou d’utiliser ces produits, mais simplement de les stocker. Dix-neuf sites industriels sont menacés de fermeture définitive, employant 3.000 personnes.

Les syndicats CFTC et CFTD du secteur de la chimie (un fleuron français) rappellent que grâce à sa situation géographique, « la France occupe en Europe une place prépondérante dans la production et la distribution de produits pour la protection des plantes ». Laisserons nous partir ces activités chez nos voisins européens qui multiplient déjà les initiatives pour les accueillir ?

Examen de conscience

Dans un ouvrage paru au mois de février, Patrick Jeantet et ses coauteurs s’intéressent à l’avenir industriel du pays et proclament à juste titre que l’économie virtuelle ne remplacera pas la production de biens corporels. Dans un monde à bientôt 9 milliards d’individus, il conviendra de financer de nombreux projets d’infrastructures ainsi que les besoins physiologiques de l’humanité, il conviendra de garder des usines car disent-ils avec raison, la société postindustrielle n’existe pas.

La France doit faire son examen de conscience industriel. Fille aînée du principe de précaution, elle se coupe progressivement des activités de recherche dans les secteurs créateurs de valeur. La France doute du progrès. Elle s’interroge même sur sa légitimité alors que c’est bien dans les laboratoires de recherche et dans l’innovation que se joue son avenir économique.

Pascal Perri , économiste, est le fondateur du groupe de travail et de recherche « Oui à l’innovation ! ». Il anime par ailleurs « Perri Scope », une émission de débat sur l’actualité économique et sociale diffusée sur LCI.