Compte-rendu webinaire sur les lanceurs d’alertes 24/02/2022

Lanceurs d’alertes
Entre protection et responsabilisation : un équilibre (très) précaire

Introduction

La France vient de se doter d’une nouvelle loi sur les lanceurs d’alerte : un dispositif inédit en la matière, celui qui accorde la plus large protection qui soit en Europe à ces acteurs de la société civile. Le droit d’alerte relève en effet de la liberté d’expression et d’information, garantes du sain fonctionnement d’une société démocratique. Elle constitue également dans certains cas un devoir, celui qui s’en dispense pouvant faire preuve de non-assistance à personne en danger. Mais l’émergence de ce phénomène est aussi un phénomène de société, à l’heure où les médias sociaux donnent à tous les moyens de lancer une alerte.

Dans un contexte d’hypercomplexité scientifique et d’immédiateté de l’information, le cas des lanceurs d’alerte se doit d’être appréhendé avec précaution, en se gardant d’une vision binaire, simpliste. « Il faut protéger les lanceurs d’alerte qui sont de bonne foi et agissent de manière licite, mais aussi les entreprises, notamment les exploitations agricoles ainsi que les grandes administrations, des personnes extérieures qui, volontairement, voudraient leur nuire. Il y a un équilibre à trouver », résumait ainsi parfaitement la sénatrice Catherine Di Folco, rapporteure du texte au Sénat, lors de son examen au Parlement. Si la loi définit le lanceur d’alerte comme «la personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation du droit international ou de l’Union européenne, de la loi ou du règlement », des réalités très différentes peuvent se réclamer d’une telle définition, comme cela a pu être le cas  pendant la crise sanitaire, avec la diffusion de nombreuses théories pseudo-scientifiques certains militants activistes légitiment ainsi leurs actions…

Il convient donc, préalablement à toute protection, de se poser la question de la validation de l’alerte. Quelles sont les mesures adoptées pour protéger le lanceur d’alerte, mais aussi quels garde-fous le responsabilisent ? Qui est concerné par cette loi et quelles sont ses conditions d’application ? Comment concilier protection du lanceur d’alerte et protection des personnes ou sociétés mises en cause ? A l’heure de l’immédiateté médiatique, la possibilité d’un recours à la divulgation voie publique n’ouvre-t-elle pas l’ère d’un jugement émotionnel qui supplante l’évaluation scientifique et rationnelle des faits ?

Nous avons voulu y voir plus clair et avons invité pour ce faire :

Monsieur le Député Sylvain Waserman

Auteur et rapporteur du nouveau texte de loi sur la protection des lanceurs d’alertes

Monsieur le Professeur Jean-François Narbonne

Expert en toxicologie et ancien lanceur d’alerte, membre de nombreux comités scientifiques

Maître Sylvain Pelletreau

Avocat spécialisé en droit de l’environnement

Monsieur le Député Sylvain Waserman

Monsieur le Député, vous êtes auteur et rapporteur du texte de la nouvelle loi sur les lanceurs d’alerte. Pouvez-vous nous expliquer l’origine de ce texte et les avancées qu’elle permet, en particulier par rapport à la loi Sapin 2 ?

Ce texte tire son origine du travail que j’ai effectué il y a trois ans au Conseil de l’Europe sur un rapport étudiant le droit en Europe et la manière dont nos démocraties européennes traitent leurs lanceurs d’alertes et quels dispositifs elles mettent en œuvre pour les protéger. J’en ai acquis la conviction que ce phénomène était en train de devenir un véritable marqueur démocratique, au même titre que l’indépendance de la justice ou la liberté de la presse. La façon dont on protège les lanceurs d’alerte constitue un véritable enjeu pour nos démocraties. En même temps, une Directive européenne, alimentée par les travaux du Conseil de l’Europe, a été votée à Strasbourg en 2019. Enfin, la France était jusqu’à présent dotée de la loi Sapin 2, innovante en 2016 mais dont un rapport parlementaire récent des députés Gauvain (LREM) et Marleix (LR) a établi les limites. Ma loi est au croisement de ces trois textes et apporte des avancées concrètes à chaque étape du processus de l’alerte. Trois exemples :

Premier exemple : jusqu’à présent, la loi obligeait le lanceur d’alerte à utiliser en premier le canal interne, sa hiérarchie, pour adresser son alerte. Cela l’exposait bien évidemment à un risque important de représailles. En cas de saisie directe d’un canal externe, toute protection lui était refusée.

Avec cette nouvelle loi, le lanceur d’alerte a le choix d’utiliser le canal interne construit par l’entreprise ou de s’adresser directement à une liste d’autorités indépendantes qui ont l’obligation de traiter son alerte dans des délais impartis.

Deuxième exemple : la question des représailles. De telles actions menées par des entreprises à l’encontre d’un lanceur d’alerte devient un délit pénal pour le dirigeant de l’entreprise. C’est une dissuasion très lourde, les faits pouvant figurer sur le casier judiciaire du directeur de l’entreprise.

Troisième exemple, nombre de lanceurs d’alerte gagnaient leur procès au prix d’un très lourd endettement personnel. Le juge peut désormais décider de mettre les coûts de la défense à la charge de l’attaque ; une procédure nouvelle qui permet de rééquilibrer le combat judiciaire.

L’unanimité qu’a reçu mon texte en première lecture à l’Assemblée Nationale témoigne, il me semble, que nous avons réussi à trouver une juste ligne de crête entre protection des lanceurs d’alertes et préservation des intérêts légitimes de l’entreprise. Notons également que le texte s’applique tout autant au secteur privé qu’au secteur public qui peut être lui aussi le théâtre d’irrégularités : marchés truqués, corruption…

N’y a-t-il pas un risque de mise en cause abusif des entreprises ?

Il faut se garder de penser que le monde économique est contre les alertes. Celles-ci sont un moyen parmi d’autres, pour le chef d’entreprise, de gérer les risques. C’est pourquoi, dès lors que nous établissions la possibilité pour le lanceur d’alerte d’activer directement le canal externe, nous avons choisi de laisser les entreprises organiser librement leur canal interne. Il est en effet dans l’intérêt du chef d’entreprise d’avoir un canal interne efficace, fiable et qui inspire confiance. Si ce n’est pas le cas, la sanction sera immédiate.

Sur la question de l’abus, il y a un risque très clair : celui de la prison, lié au délit de « dénonciation calomnieuse ». C’est un véritable garde-fou pénal. On est là dans un cadre qui relève de la mauvaise foi ou de l’intention de nuire qui est très bien encadré par la jurisprudence.

Jusqu’à présent, la justice n’a jamais condamné des Faucheurs Volontaires qui se disent lanceurs d’alerte, violent les propriétés, détruisent des parcelles ou des semences…

Il faut être très clair : ces cas-là relèvent d’un tout autre sujet. Juridiquement, ils ne sont pas des lanceurs d’alerte et ne rentrent pas dans le cadre de ma loi. Cette nouvelle loi de protection des lanceurs d’alerte est opérante seulement dans le cas d’hommes et de femmes qui sont attaqués par des intérêts. S’il n’y a pas d’attaque, elle est inopérante. En ce sens, elle n’apporte pas une once de protection aux agissements militants d’activistes quels qu’ils soient et ne saurait consister en une incitation à faire n’importe quoi.

Par ailleurs, la loi précise bien que l’information sur laquelle se fonde l’alerte doit avoir été obtenue de manière licite. Quelqu’un qui viole la propriété de quelqu’un d’autre pour collecter des informations qui pourraient être matière à alerter est d’emblée exclu de ma loi. Celle-ci définit précisément le lanceur d’alerte et le cadre de son action.

Au sujet du contrôle, on observe une différence entre le droit anglosaxon et le droit français. En droit anglosaxon, il y a beaucoup de moins de contrôle en amont mais les sanctions sont plus lourdes. Tandis qu’en droit français, on contrôle beaucoup, on valide et la faute est beaucoup moins sanctionnée. Le lanceur d’alerte n’est pas le signe d’une déficience du contrôle en amont. Le contrôle ne peut pas être la seule façon de prévenir le risque. C’est une question d’équilibre.

Les alertes scientifiques, qui se multiplient avec un degré de validité inégal, ne risquent-elles pas d’entraver la décision politique et la compétitivité française par une mise en avant constante d’un principe de précaution qui devient castrateur pour la recherche ?

Je voudrais d’abord insister sur le fait qu’il n’y aura aucune complaisance avec des propos complotistes – ceux affirmant par exemple que les chercheurs de l’ANSES seraient tous sous la coupe des lobbies industriels – vérolées par une vision où toutes les institutions sont corrompues.

Ensuite, je crois que la pandémie a très bien montré que la décision politique est quelque chose de différent du discours scientifique. Au moment du déconfinement par exemple, le Président de la République a pris sa décision en opportunité politique, dans le respect de la science, mais sans s’y limiter. La politique recouvre une réalité bien plus large que la science. Le Conseil Scientifique dont s’est entouré le Président de la République montre également la volonté de s’en remettre, au strict niveau scientifique, aux experts afin de s’appuyer sur des données fiables. Le politique doit avoir une haute conscience de sa propre responsabilité, politique, et doit en ce sens prendre en compte les différents enjeux d’une société.
L’interaction entre la science et la décision publique est capitale.

Que comptez-vous faire pour suivre la juste application de votre loi ?

Les nouveaux textes de loi sont toujours évalués deux ans après leur adoption. Je ne sais pas si je serai encore député à ce moment-là, mais si tel est le cas, je mettrai tout en œuvre pour vérifier la bonne applicabilité et la bonne application de ce texte fondamental.

Sylvain Pelletreau

Comment concilier, avec les éléments de la loi Waserman, la protection des lanceurs d’alerte mais aussi les intérêts des personnes morales ou physiques mises en cause ?

Comme l’a bien souligné dans son rapport Madame la Sénatrice Catherine Di Folco, il y a un équilibre à retrouver entre les intérêts légitimes des entreprises et la nécessité de mettre sur le banc public des faits qui pourraient être reprochés à telle ou telle d’entre elles. Les entreprises ont un chemin de perfection à trouver et il y a des canaux de contrôle qui sont prévus pour cela.

En ce sens, je crois qu’il faut être très prudent et se garder d’une vision manichéenne sur le phénomène des lanceurs d’alerte. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt la volonté de faire une conciliation entre les intérêts légitimes de l’entreprise et la protection des lanceurs d’alerte. Dans ce domaine, il y a de vraies problématiques de vérité scientifique, vérité médiatique mais aussi vérité juridique.

L’accompagnement des entreprises permet de se rendre compte d’une chose : une fois que des informations ou des accusations sont portées sur la voie publique, quoi qu’il en soit de leur validité, il est déjà trop tard. Le coup est parti et il est irrattrapable. L’immédiateté médiatique qui a cours aujourd’hui ne fait pas bon ménage avec la vitesse juridique, qui par définition prend son temps pour analyser et peser les faits. Certaines associations militantes l’ont bien compris et sont spécialistes de ce type d’alertes, et certaines sociétés en ont déjà fait les frais.

Comment les entreprises perçoivent-elles ce cadre ? Se sentent-elles parfaitement à l’aise ?

En droit de l’environnement, le principe de participation et d’information implique une transparence de plus en plus grande de la part des entreprises. On trouve donc un nombre incalculable d’informations sur internet. Par ailleurs, on met en place de plus en plus de mécanismes d’auto-contrôle par les entreprises elles-mêmes, qui en transmettent les résultats à l’administration, laquelle contrôle après. La question qui se pose est en réalité la suivante : quelle est la source de la justification du lanceur d’alerte? Cette protection accrue qui lui est conférée ne manifeste-t-elle pas le fait que l’on a besoin d’un nouveau pouvoir pour contrôler les acteurs économiques ? Est-ce le signe que l’administration – qui se définit comme « la fonction de l’Etat qui consiste, sous l’autorité du Gouvernement, à assurer l’exécution des lois » – n’a plus les moyens aujourd’hui d’effectuer les contrôles qu’elle est censée faire ? Car c’est précisément le cas : si le lanceur d’alerte entre en scène, c’est pour dénoncer une illégalité qui n’a pas été contrôlée auparavant.

De manière très pragmatique, il suffit de regarder – à titre d’exemple – le droit des installations classées, ces sites pouvant présenter des dangers ou inconvénients pour l’environnement. Il y en a environ 500 000 en France, contrôlés par à peu près 1 200 équivalents temps plein. Mathématiquement, il est impossible de tous les contrôler, et c’est en effet ce qui se passe à l’exception des plus emblématiques. Les autres le sont soit en raison d’une dénonciation (du voisinage ou autre), soit en cas d’accident.

Pensez-vous que cette nouvelle loi réponde à la question des lanceurs d’alerte dans les bons termes ?

Je pense que plus on est transparent, moins on tend le flanc à certaines manipulations. En ce sens, cette loi de protection des lanceurs d’alertes me semble capitale. On aurait même pu aller plus loin. J’ai lu avec intérêt qu’il avait été proposé que le filtre de l’alerte soit le Défenseur des Droits : le lanceur d’alerte aurait pris contact d’emblée avec le Défenseur des Droits qui lui aurait validé en amont son statut et pris son action sous sa protection. C’était me semble-t-il, une piste intéressante qui n’a finalement pas été reprise.

Cela étant, il reste la question cruciale de la validation de l’alerte. Or, la loi contient à ce sujet des imprécisions qui attirent mon attention. La définition du lanceur d’alerte repose par exemple sur la notion de « bonne foi ». Une telle qualification est floue et ne préjuge en rien des compétences requises pour lancer une alerte. Entre un scientifique qui connaît parfaitement son sujet, et quelqu’un qui pense avoir repéré un dysfonctionnement mais qui n’a pas forcément les compétences pour évaluer les informations à sa disposition : il n’y a clairement pas la même légitimité. Mais l’un comme l’autre est aussi susceptible d’alerter en toute « bonne foi » sans que la sanction pour « dénonciation calomnieuse » lui soit applicable. Cela me semble assez dangereux, notamment lorsqu’on considère qu’une des grandes nouveautés du texte est que le lanceur d’alerte peut passer directement par la divulgation publique en cas de « danger grave et imminent ».  Là encore, l’appréciation de ce qu’est un danger grave et imminent reste assez vague.

Dans un contexte d’hyper-complexité scientifique et de rapidité médiatique, il y a là un enjeu capital : celui de la gestion du temps, entre le temps long nécessaire à la prise de décisions et le temps court, imposé par l’action médiatique. Le chercheur cherche et a besoin de temps pour cela. L’informateur informe et c’est dans l’immédiat. La prudence devrait nous inciter à la modestie, et à parler plus au conditionnel et moins à l’indicatif.

Jean-François Narbonne

Professeur, si l’on regarde en arrière, les alertes qui ont été lancées, notamment dans le domaine de l’agriculture (OGM, fongicides SDHI…), étaient-elles formulées au nom de la science ou dans des visées plus militantes ?

Je crois qu’en matière de lanceurs d’alerte, il faut distinguer deux cas :

  • Le cas de celui qui constate quelque chose d’illégal, dans une entreprise ou une organisation (rejet de déchets, mauvaise utilisation de produits, etc.): l’alerte est alors complètement justifiée. Elle est même un devoir et s’en abstenir reviendrait à la non-assistance à personne en danger. Il convient bien sûr de protéger juridiquement ces lanceurs d’alerte. D’ailleurs, notons que la non-conformité est plus souvent observée dans les petites entreprises ou même les auto-entrepreneurs qui n’ont pas système de contrôle, etc. Et moins chez les grandes entreprises.
  • Mais il y a également un autre cas, de plus en plus courant, qui consiste à imaginer les conséquences plus ou moins graves de certaines découvertes scientifiques. Par exemple dans le domaine des OGM, des vaccins… Il est tout à fait légitime de se poser des questions et toutes sont recevables.

Pendant très longtemps, la question a été de savoir à qui faire remonter ces alertes, comme dans les années 1970 par exemple. Aujourd’hui, de nombreux relais ont été mis en place afin de recueillir et traiter ces alertes scientifiques : la Commission de Validation des alertes qui évalue si les éléments scientifiques sont concrets et fiables, l’ANSES qui en évalue les conséquences en matière de santé publique et peut, le cas échéant, faire évoluer une réglementation mais également l’INSERM, l’Office parlementaire des choix scientifiques, etc. On a aujourd’hui un écosystème qui fonctionne très bien.

Le cas des SHDI, d’après vous, c’est un exemple d’alerte qui a fonctionné ?

Tout à fait. Dans les cas des fongicides et des pesticides, la Commission de Validation des alertes a fonctionné. C’est-à-dire que le chercheur a été audité, on lui a dit « vos données sont intéressantes ». Maintenant, pour avoir connaissance des conséquences de ce constat, il faut que ce soit pris en charge par l’argent public.  

Comment expliquer la multiplication des alertes scientifiques qui finissent par brouiller le message et faire douter de la science et de ses institutions ?

En matière d’alerte scientifique, il y a deux questions à se poser : comment valide-t-on scientifiquement l’alerte, et qu’est-ce qu’on en fait ? Autrement dit, les données scientifiques sont-elles fiables ? Et si oui, quelles sont leurs conséquences réelles en matière de santé publique ?

Normalement, un chercheur du secteur public doit d’abord alerter par voie hiérarchique, ce qui est moins risqué pour lui que pour un salarié du privé. Puis, s’il n’a pas de réponse et seulement en ce cas, il peut saisir la voie publique via par exemple une tribune dans la presse. Or aujourd’hui, on assiste à plusieurs phénomènes que la crise du Covid-19 a fort bien révélés. Au sujet de la pandémie, on a vu surgir des dizaines de « lanceurs d’alertes » qui s’exprimaient tous à titre personnel, en analysant la situation à travers le prisme de leur spécialité propre. Chaque détenteur d’une parcelle du message scientifique a été médiatisé comme lanceur d’alerte, au détriment de la démarche même de l’expertise scientifique.C’est d’ailleurs ce qui a contribué à décrédibiliser tant le discours politique que scientifique. Il y a un traitement médiatique de l’information qui pose question, comme par exemple pour l’étude sur les OGM de Gilles-Eric Seralini.

En réalité, une alerte scientifique a besoin d’être éprouvée par un comité scientifique interdisciplinaire qui puisse appréhender le problème dans son ensemble. D’où la pluridisciplinarité qui a été instaurée dans les agences de contrôle. A l’ANSES, il y a une quarantaine d’experts par comité scientifique. Cela permet de confronter les points de vue et d’évaluer pertinemment les conséquences des résultats en matière de santé publique. Tous les comités scientifiques fonctionnent de la sorte et leurs membres sont soumis à un devoir de réserve. C’est ainsi notamment que fonctionne l’ANSES. Il a fallu un an et demi, après le début de la pandémie de Covid-19, pour que le CNRS rappelle à ses chercheurs ce devoir de réserve. Pour que l’alerte scientifique soit valide, il est très important qu’elle suive la procédure normale : évaluation par la Commission de Validation des alertes, puis saisine obligatoire des agences sanitaires. Cette évaluation par la Commission de validation est tout à fait centrale car elle est composée de scientifiques qui peuvent juger de la fiabilité des éléments scientifiques de l’alerte, et d’ONG qui peuvent estimer sa part militante. On constate en effet aujourd’hui que les chercheurs sont de plus en plus des militants : la science est utilisée à des fins militantes qui n’ont rien à voir avec la réalité scientifique du sujet. Les sociologues tiennent le haut du pavé, ce qui pose un vrai problème en matière de traitement scientifique. La vérité est devenue la perception d’un sujet par la société et non plus sa réalité scientifique. Dans ce contexte, les avis rendus par les agences de contrôle indépendantes comme l’ANSES sont souvent soumises à caution dès lors qu’elles ne sont pas en phase avec ce que l’on attend d’elles. Dans le cadre de l’alerte sur les SDHI, l’ANSES a été ainsi discréditée par un parlementaire qui a purement et gratuitement affirmé que « les liens [de l’Anses] avec les lobbies agro-alimentaires et des pesticides ne sont malheureusement plus à prouver ». Les médias savent ensuite en faire leur affaire…

Est-ce que cela va avoir des impacts sur la recherche en France ? Principe de précaution, lanceurs d’alerte : cela n’encourage-t-il pas les chercheurs français à aller voir ailleurs ?

Je crois que le problème est avant tout la réduction massive des budgets alloués à la recherche ces trente dernières années. Cette pénurie incite à une véritable compétition médiatique entre les équipes de recherche notamment entre le CNRS et surtout l’INRA et l’INSERM, pour des raisons environnementales –, au point que les services de presse des différents organismes peuvent extrapoler les résultats des études pour attirer des subsides. Sur les perturbateurs endocriniens par exemple, il y a une certaine contradiction entre ce qui est relayé dans la presse (au ton dénonciateur) et la publication officielle de l’institution (plus dans l’interrogation).

Par ailleurs, on a des personnalités politiques qui sont de plus en plus frileuses et qui cherchent à cacher leurs décisions politiques derrière des arguments scientifiques. Je peux citer de nombreux cas, où des personnalités politiques nous ont dit : « vous nous embêtez à dire que ce n’est pas toxique, car on voulait prendre telle décision pour contrôler l’utilisation de tel produit ». Par exemple, dans certains cas, interdire un pesticide aux agriculteurs est un choix politique, qui n’a pas nécessairement besoin de validation scientifique. Mais il leur revient de prendre des décisions : la décision politique c’est autre chose que la connaissance scientifique.