4 questions à…

Jean-Yves Le Déaut
Député socialiste de Meurthe-et-Moselle de 1986 à 2017,
docteur ès science et ancien président
de l’Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques

OAI_Jean-Yves_LeDéaut

Alors que la Cour d’appel de Nancy juge ce mercredi, 10 ans après les faits, l’arrachage de pieds de vigne OGM sur le site de l’INRA à Colmar, Jean-Yves Le Déaut nous explique les causes de cette méfiance envers la science et les nombreuses avancées entreprises dans les biotechnologies.

Comment expliquer cette méfiance de plus en plus marquée envers la science et les technologies et en particulier les biotechnologies ?

Longtemps nos sociétés ont cru au progrès technologique, source de nombreuses avancées pour l’Homme dans le domaine de la santé. Aujourd’hui, les enquêtes d’opinion montrent que les citoyens ne font plus confiance aux scientifiques. Cette évolution inquiétante prend sa source dans la confusion de plus en plus marquée entre ce qui relève d’une part des savoirs et de l’autre des opinions ou des croyances. Si les savoirs ne correspondent pas aux opinions, ils sont contestés et combattus.

Les biotechnologies ne font pas exception à cette méfiance. L’activisme de certaines associations qui depuis plus de vingt ans ont frappé l’opinion publique en parlant de risques pour la santé a petit à petit produit ses effets. Pourtant, avec vingt ans de recul,  les agences nationales, européennes, internationales, les académies, toutes concluent à l’absence de risques pour la santé.

Cette « atmosphère » antiscience est-elle un frein à la recherche scientifique européenne sur les biotechnologies ?

En Europe, peu de grandes entreprises ont émergé dans le domaine des biotechnologies. La plupart ont délocalisé leur recherche et développement à l’étranger. Limagrain, par exemple, aurait pu être un acteur majeur encore plus important du secteur, mais l’entreprise a stoppé ses recherches en France dans le domaine. Les chercheurs sont aussi de moins en moins nombreux dans le domaine de la physiologie végétale. Les jeunes chercheurs s’en vont ou s’engagent dans d’autres disciplines. En attaquant ces techniques en Europe, nous avons contribué à l’émergence de géants américains et affaibli notre capacité d’expertise sur le sujet.

Dans les prochaines années, on aura vraisemblablement un prix Nobel sur les nouvelles biotechnologies : technologies extrêmement précises de scalpels moléculaires qui permettent de modifier les gènes. Mais les techniques et les savoirs sur les nouvelles biotechnologies ne se développent pas en Europe, alors qu’elles ont des implications énormes en terme d’innovation dans le domaine de l’agriculture, de la santé et de l’environnement. Si on ne réagit pas vite, l’Europe sera dépassée.

L’avenir de l’agriculture et de la santé se trouve-il dans les nouvelles biotechnologies ?

Les OGM sont des technologies qui relèvent presque du passé. L’avenir est tourné vers les nouvelles biotechnologies : « New Breedings Techniques » (NBT). Il s’agît d’une rupture fondamentale par rapport aux « anciens » OGM, dans la mesure où ces modifications du génome sont précises et comparables aux mutations naturelles. Les NBT constituent une révolution, car elles sont rapides, précises, puissantes, peu coûteuses et très prometteuses. C’est une « ère post-OGM » qui s’annonce pour l’agriculture.

Les biotechnologies sont complémentaires de l’agroécologie. Prenons l’exemple de la vigne. Le mildiou et l’oïdium sont deux parasites qui attaquent sévèrement les vignes. À l’heure actuelle, pour protéger leurs cultures, les viticulteurs n’ont que deux solutions : les pesticides ou le sulfate de cuivre, composé chimique qui pollue les sols. Pourtant, les chercheurs de l’INRA ont créé par croisements interspécifiques des vignes résistantes au mildiou et l’oïdium. Ils ont mis plus de vingt ans pour créer ces croisements. En utilisant les nouvelles biotechnologiques, il suffirait seulement de deux ou trois années.

Avec les nouvelles biotechnologies, on est capable de limiter l’utilisation des pesticides en agriculture. On s’y refuse. On est capable d’avoir des aliments avec de meilleurs qualités nutritionnels. On s’y refuse. On est capable d’avoir des plantes qui supportent les changements climatiques. On s’y refuse. Parce que certaines associations, pour des raisons idéologiques, s’opposent aux avancées de la science.

Le 29 juin 2016, plus de 100 lauréats du Prix Nobel, dont les français Claude Cohen-Tannoudji, Roger Guillemin, Serge Haroche et Jean-Marie Lehn, ont appelé les gouvernements du monde entier à accélérer le développement des biotechnologies en agriculture. Ils ont dénoncé avec force « les organisations qui se sont opposées aux innovations biotechnologiques» estimant que « continuer les campagnes de dénigrement de ces technologies constituerait un crime contre l’humanité ».

Certains refusent l’évolution de la science. Mais il faut accepter le progrès, tout en le maîtrisant. Il est évident qu’il faut mettre des lignes rouges.  Nous avons proposé avec Catherine Procaccia dans notre rapport du 14 avril 2017 sur « Les enjeux économiques, environnementaux, sanitaires et éthiques des biotechnologies » de mettre en place un comité permanent d’experts sur le « genome editing », à l’image du GIEC sur le climat. Ce comité serait composé de personnalités qualifiées reconnues dans leurs pays respectifs. Il aurait pour mission d’évaluer le degré de maturité des nouvelles thérapies géniques, d’en apprécier les enjeux sanitaires et éthiques et de proposer des lignes directrices aux États.

Comment rétablir une relation de confiance entre les citoyens et la science ?

Apprendre aux jeunes générations à vérifier si ce qu’ils lisent est vrai. Leur apprendre à faire la distinction entre des savoirs établis scientifiquement et des opinions sans fondements scientifiques. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde où tout ce qui est dit est cru, où une fake news suivi d’un démenti deviennent une information.

Le 21 février 2017, nous avons voté au Parlement, à l’unanimité, la résolution sur « Sciences et le progrès dans la République ». Cette résolution suggère que l’initiation aux sciences dès l’école élémentaire soit renforcée tout en veillant à la qualité des enseignements scientifiques dispensés au collège et au lycée. Nous avons également insisté, comme le préconisait l’Académie des sciences, sur une plus grande interaction entre les enseignements en sciences technologiques et en sciences humaines dès les classes de lycée.

Il faut également renforcer l’offre d’émissions scientifiques sur les chaînes de télévision et les stations de radio du service public aux heures de grande écoute. En faire de véritables espaces de savoir en donnant la parole aux membres de la communauté scientifique.

N’est-il pas plus dangereux de manipuler les esprits que de modifier les gènes ?