Candidate socialiste à la région Ile-de-France, Audrey Pulvar a proposé la gratuité des transports pour tous dans la région. Cette gratuité, écrit Pascal Perri, ne doit toutefois pas masquer le coût des transports publics, dont l’entretien mais aussi l’adaptation à des normes environnementales plus exigeantes nécessitent des investissements lourds qu’il faudra bien financer par des impôts supplémentaires.

« L'usager des transports franciliens ne paie que le quart du coût complet de la prestation qu'il consomme ».

« L’usager des transports franciliens ne paie que le quart du coût complet de la prestation qu’il consomme ».

(Martin BUREAU/AFP)

La mythologie du « gratuit » est de retour. La candidate socialiste aux élections régionales en Ile-de-France promet des transports en commun gratuits pour tous sur l’ensemble du réseau régional. Une question de justice sociale, dit-elle. Le gratuit n’est pas une donnée économique. C’est au contraire un mythe dangereux qui déprécie la valeur du bien ou du service présumés gratuits et qui déplace le paiement vers des tiers. C’est tout le contraire de la justice, puisque cela revient à faire payer l’usage d’un service par des contribuables qui ne sont pas nécessairement utilisateurs de ce service.

A ce jour, l’usager des transports franciliens ne paie que le quart du coût complet de la prestation qu’il consomme. La gratuité totale reviendrait à augmenter la dose de subvention car l’absence de prix payé ne fait pas disparaître les coûts de production. Pour les transports, activité intense en capital, il faut acheter du matériel, entretenir le réseau, payer les agents de service. Les politiques publiques orientées vers le développement durable vont mobiliser de très lourds investissements. Or nous savons tous que l’argent public aujourd’hui se transforme en impôts supplémentaires demain. Les collectivités locales, asphyxiées par des dépenses de fonctionnement exorbitantes, ont peu les moyens d’investir. La proposition de gratuité des transports en commun mettrait en risque une infrastructure essentielle.

Savoir ce qu’il en coûte

Voilà qui nous ramène aux débats déjà anciens des grands économistes. Ils ont discuté la question de la valeur au fil des siècles passés. Pour certains d’entre eux, la valeur exprime une certaine quantité de travail (Smith, Ricardo), pour d’autres, on la détermine à partir de la propension du consommateur à payer. La valeur, c’est le prix que l’acheteur est prêt à consentir.

Pour sortir par le haut du dilemme sur la valeur, Condillac pose une question toujours d’actualité : les choses ont-elles de la valeur par ce qu’elles coûtent ou coûtent-elles par ce qu’elles valent ? A l’évidence, les biens et services coûtent parce qu’ils ont une valeur perçue. Or, la gratuité affaiblit, voire détruit cette valeur. Prenons un autre exemple : l’accès « gratuit » à la santé publique. Pour que les choses soient respectées, pour qu’elles soient appréciées, au sens économique du terme, il est essentiel de savoir ce qu’elles coûtent.

Les services de santé du pays sont universels et accessibles à tous, quel que soit le statut du patient. C’est une conquête sociale à « haute valeur ajoutée », un de ces acquis qui permet de dire que le système social français est profondément égalitaire. Sa gratuité a cependant contribué au dérapage des dépenses. Elles augmentent en France, mais le reste à charge du patient demeure le plus faible des pays de l’OCDE (7 %, contre 18 % en moyenne). Avec le 0 RAC (reste à charge) sur l’optique, le président Macron est allé encore plus loin. L’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzin, déclarait en son temps que c’était sa fierté d’avoir réalisé la promesse du candidat !

Tout ministre de la Santé devrait au contraire avoir pour mission d’informer l’opinion sur le vrai prix de la santé en France. Comment peut-on accepter aujourd’hui les millions d’examens inutiles qui ne sont réclamés ni par les patients ni par les prescripteurs ? La santé n’est pas une marchandise mais une conquête humaine à protéger. La gratuité comporte un prix caché qui est celui de tous les abus commis en son nom.

Pascal Perri