Sous l’impulsion de certaines ONG, la remise en cause des libertés fondamentales est de plus en plus brutale estime Pascal Perri. Si ces dernières sont dans leur rôle lorsqu’elles dénoncent les excès, elles n’ont aucune légitimité à se substituer aux juges ou à la police. Derrière leurs stratégies, on voit clairement se dessiner une guerre contre le marché et les échanges.
Un mouvement de remise en question des libertés économiques fondamentales est en cours dans la société française. Il est principalement porté par des Organisations non gouvernementales dont le substrat idéologique est à rechercher dans les théories de la décroissance et de la contestation du progrès.
La critique du développement n’est pas nouvelle. Elle s’appuie sur la défense des Commons, ces éléments non marchands qui sont une sorte de patrimoine commun, ni propriété collective ni propriété individuelle et que nous consommons dans notre vie quotidienne : l’air et l’eau en font partie. Les processus de production d’une société en croissance utilisent ces biens communs dans le cadre des limites de la loi. Les ONG sont dans leur rôle quand elles attirent l’attention sur les excès.
Elles n’ont en revanche aucune légitimité à se substituer aux juges et encore moins à exercer un pouvoir de police en s’arrogeant les attributs de la contrainte ou de la violence, ce qu’elles font pourtant de plus en plus souvent dans l’esprit des faucheurs volontaires. Le législateur a multiplié les normes et les règlements pour encadrer les usages professionnels et les tribunaux français ne manquent pas de faire respecter la loi quand elle est violée en appliquant, par exemple, de façon systématique, le principe du Pollueur-payeur. La France, championne du principe de précaution, ne laisse rien passer. Dans le domaine des innovations, par nature suspectes pour les écologistes et les décroissants, elle préfère la pédale de frein à l’accélérateur.
Nous assistons à la montée progressive des injonctions négationnistes du progrès en France.
Ce qui change aujourd’hui ce n’est pas que des groupes de pression tentent de se substituer aux organes de l’Etat, les justiciers ont toujours existé. Ce qui change vraiment c’est la montée progressive des injonctions négationnistes du progrès en France. Deux parties s’opposent : d’un côté les tenants de la glaciation, partisans d’une surveillance rapprochée des comportements humains – forcément suspects -, de l’autre ceux qui croient dans les vertus de l’innovation et font confiance à la raison des individus.
Les injonctions accusatoires se traduisent soit par des procès en règle, par exemple contre les passagers du transport aérien ou contre les consommateurs de viande, soit par des pressions sur les pratiques. Dans le Sud Ouest ou dans les Deux Sèvres, la sécheresse a pénalisé les productions agricoles et réactivé le débat sur la création de réserves d’eau à usage agricole pendant les périodes de pluie. L’eau entend-on chez les opposants des retenues ne doit pas servir à des productions qui seront ensuite vendues sur les marchés internationaux. Elle doit servir aux gens du pays !
Derrière ces stratégies, on voit clairement se dessiner une guerre contre le marché et les échanges. Le commerce international a été l’ultime étape de conquête des grandes libertés commerciales. Il y a quelques jours, dans les « Echos » , l’économiste Patrick Artus rappelait que le modèle des échanges a donné lieu à une « forte élévation du niveau de vie des populations, sensible dans les pays émergents, où des millions de personnes ont pu sortir de la pauvreté ». Le même combat contre le productivisme qu’on devrait plutôt qualifier de production efficiente vise à interdire la pratique du traitement des plantes en ignorant les contraintes d’une nature dont les écologistes se plaisent à croire qu’ils en sont les experts.
Nous vivons des temps complexes dominés par l’expression du désenchantement. Comme si une partie de l’opinion éprouvait une forme de lassitude à l’égard des grandes libertés arrachées au fil de notre longue histoire humaine. L’essayiste Mathieu Laine a raison de dire qu’ il faut sauver le monde libre. L’enjeu reste plus que jamais de combiner rationnellement libertés individuelles et solidarité sociale comme le rêvait le philosophe John Rawls.
Pascal Perri est géographe et économiste