Pour l’économiste et géographe Pascal Perri, le président de la République joue sur l’ignorance des Français pour préserver l’équilibre instable de notre système de retraites.

Peut-on vraiment réformer les retraites en France comme entend le faire Emmanuel Macron ? Peut-on aboutir à l’optimum énoncé par le président de la République dans sa formule désormais célèbre : 1 euro cotisé donne les mêmes droits ? Le marketing politique a ses limites et dans le dossier des retraites, les limites sont posées par la technique et par l’histoire.

Non, 1 euro cotisé ne donnera pas les mêmes droits, car cette équation repose sur le postulat que l’accumulation des droits est seulement le produit d’une certaine quantité de travail. Or, toutes les heures de travail ne se valent pas car elles pèsent d’un poids relatif différent. La quantité de travail est une première variable, mais il y a aussi la nature du travail.

Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur les catégories actives et les métiers exposés à des fatigues exceptionnelles. Une heure de gardien de prison, de policier, d’aide-soignant devra peser plus lourd qu’une heure de « fonctionnaire de circulaire ». Dans le nouveau système à points, il conviendra de bonifier les points des catégories fragiles pour leur permettre de cotiser moins longtemps. De ce point de vue, la réforme ne change rien. Il faudra tenir compte de la pénibilité. Conclusion, le nouveau système de retraite présentera bien un caractère universel, mais pas unique.

Sédiments de l’histoire

Le second obstacle, c’est le poids de notre histoire. La retraite est sans doute la plus grande conquête sociale française, « le premier espace de temps libre » pour reprendre la formule de Frédéric Sève, le négociateur de la CFDT, mais c’est une conquête dont les fruits sont mal partagés. D’un côté, presque deux siècles d’histoire : les premières retraites de cheminots remontent au XIXe siècle. La loi sur les pensions civiles des fonctionnaires est votée le 8 juin 1853. L’Etat bonne mère a protégé ses agents, il leur a donné un avantage avec ce droit au revenu de remplacement. De l’autre côté, les salariés du secteur privé. Leurs droits sont récents. Ils remontent à la création de la Sécurité sociale, mais les premières pensions versées sont maigres. Qui peut honnêtement croire que la réforme Macron fera l’impasse sur les sédiments de l’histoire ?

Il ne faut pas mentir aux Français. La réforme en cours fera converger les régimes entre eux, mais elle n’aboutira pas à l’optimum des droits égaux pour 1 euro cotisé. Comment pourrait-il en être autrement quand on sait que l’Etat verse chaque année une soulte de plus de 40 milliards d’euros au régime de ses agents. La retraite est le produit d’une cotisation, mais dans le cas des régimes publics, ce sont les impôts des Français qui paient les déficits. Devra-t-on demain demander aux fonctionnaires de doubler, voire de tripler leur cotisation retraite ? L’argent ne tombera pas du ciel et personne ne peut imaginer aller le prendre dans la poche des agents publics. Les contribuables continueront de payer pour leurs droits. Là encore, pas de miracle. Il faudra des générations pour aboutir à un régime unique, c’est-à-dire un régime plus égalitaire.

La gestion des retraites en France relève de la théorie des choix publics (Buchanan et Tullock). L’Etat préfère un dysfonctionnement qui ménage ses intérêts. Il est en effet en situation de conflit d’intérêts comme gestionnaire des retraites de ses agents et « en même temps » garant des droits à la retraite des autres Français. En affichant l’objectif de rendre l’accès à la retraite plus équitable, Emmanuel Macron joue sur l’ignorance des Français et cherche à préserver l’équilibre instable qui prévaut. Au final, 1 euro cotisé ne donnera pas les mêmes droits, même dans un système à points !