Compte rendu en format PDF ci-dessous & Replay : cliquer ici

Débat animé par : Pascal Perri, économiste et fondateur de Oui à l’innovation !

Intervenants :

  • Laurent Cappelletti, Professeur au CNAM, directeur à l’Institut de Socio-Economie ISEOR, expert Institut Sapiens ;
  • Loïk Le Floch Prigent, ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d’énergie ;
  • Christian Harbulot, stratège français spécialiste en intelligence économique, directeur de l’Ecole de guerre économique ;
  • Sylvain Pelletreau, associé chez Richelieu Avocats, cabinet spécialisé dans le droit de l’environnement.

Contexte :

Le droit de l’environnement est un sujet brûlant d’actualité : lois « climat », délit d’écocide, pouvoirs judiciaires donnés à l’Office Français de la Biodiversité (OFB), protection des lanceurs d’alerte, manifestations écologistes… Dans le même temps, la multiplication des textes législatifs et réglementaires est vécue comme un frein et une contrainte injustifiée par de nombreux acteurs économiques.

Le sénateur Laurent Duplomb résume parfaitement la situation lorsqu’il commente son rapport sur la Compétitivité de la ferme France et montre le long déclin de notre agriculture.  Les agriculteurs aujourd’hui vivent une « pression psychologique intenable ». La pression réglementaire en est une des causes majeures.

Le sujet du droit de l’environnement soulève deux questions, selon Pascal Perri : assiste-t-on à une dérive du droit de l’environnement ? Et comment concilier préoccupations environnementales, protection du droit de l’environnement, et croissance ?Autrement dit, peut-on décolérer la croissance des nuisances de la croissance ?

Ce que l’on peut retenir :

  • Une surproduction de normes, capteurs d’efficacité pour les politiques mais aux effets délétères pour les entreprises et les territoires.
  • Un droit de l’environnement aux mains de la mouvance écologiste, avec une démission du monde industriel. Conséquence : l’équilibre des trois piliers – environnemental, social et économique – essentiels pour garantir une législation sensée est mis à mal.
  • Un changement de cap et un retour au bon sens est-il possible : crises des secteur énergie et agricole-agroalimentaire faisant réapparaitre cette notion de « besoins vitaux ».
  • Une nécessaire simplification de l’appareil normatif, avec un retour de l’autorité technique (dogmatisme VS pragmatisme).

Compte rendu des échanges

Production normative et efficacité politique : quand la norme devient le « capteur d’efficacité » du politique

En France, nous sommes en avance sur nos voisins en matière de production normative. Pour autant, toutes les lois promulguées ne produisent pas les effets attendus. « Un corpus législatif qui reste en suspension », souligne Pascal Perri.

Sylvain Pelletreau, avocat en droit de l’environnement, rappelle que le droit de l’environnement doit être un compromis entre utilisation de la nature et protection de la nature. « Et quand on pousse plus loin cette définition, on peut dire que le droit de l’environnement est un oxymore permanent : par ce rapport entre utilisation et protection, par la question du temps – temps court du politique et temps long de la transition – mais également parce que la norme doit en même temps être un outil de compétitivité. » Et pour en faire un outil de compétitivité, il faut anticiper cette règle, affirme-t-il.

« Il ne faut pas confondre précipitation et transition. », Sylvain Pelletreau.

 « Le droit de l’environnement ne doit être envisagé que dans l’aune du développement durable, qui repose sur trois piliers : environnemental, social et économique. Oublier un des trois piliers, c’est produire une loi bancale », explique Sylvain Pelletreau.

Les territoires en font d’ailleurs l’expérience. En matière de droit de l’environnement, l’absence de prise en compte des différences et spécificités des territoires conduit à des situations insensées. « Cette production normative non-contrôlée pose plusieurs problèmes : elle ne tient pas compte de l’aspect social et de l’aspect économique – c’est de l’environnementalisme radical, ajoute Pascal Perri –, elle ne s’inscrit pas dans une perspective de transition et ne fait pas l’objet de modularité en fonction du contexte. Elle a par ailleurs un coût pour les entreprises et les territoires (coûts visibles et cachés). Laurent Cappelletti, professeur du CNAM

ZFE (zones à faibles émissions), ZAN (zéro artificialisation nette), passoires thermiques … Autant d’exemples de cette logorrhée réglementaire qui montre qu’en France nous avons une vision poétique et non stratégique de l’environnement (Sylvain Pelletreau).

La notion de « délit d’écocide » est symptomatique de ce rapport entre efficacité politique et réglementation.

L’énergie et l’agriculture : deux secteurs sérieusement impactés par les dérives du droit de l’environnement

Dans un contexte de crise énergétique, Christian Harbulot, directeur de l’Ecole de guerre économique, revient sur la question du nucléaire. Il déplore l’absence de prise de parole des principaux concernés, mentionnant le corps des ingénieurs de l’industrie du nucléaire, lors des débats sur la politique du nucléaire menée en France.

« Ils n’ont pas vu arriver cette déstabilisation informationnelle. Comment une industrie comme celle de la France a pu être autant affaiblie ? ». Christian Harbulot

Il en va de même pour le secteur agricole-agroalimentaire : « c’est un cas de société qui n’est pas encore pris à la mesure de ce qu’il représente » et dont les conséquences seront dramatiques, insiste Christian Harbulot.

Pour Loïk Le Floch Prigent, ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, le sujet fondamental est aujourd’hui la difficulté pour une industrie de pouvoir exercer son métier :

« C’est-à-dire qu’il y a des gens qui sont chargés de vous contrôler et qu’ils sont opposés à ce que vous produisez. Une personne sur deux au sein des DREAL (Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement) a envie que la production s’arrête », explique Loïk Le Floch Prigent,prenant l’exemple de la peinture sur métal. 

Les intervenants évoquent le projet d’implantation de l’usine Bridor (Groupe Le Duff) à Liffré, contesté et ayant fait l’objet de recours. Autre exemple : l’industrie du plastique. « Avec la loi AGEC, on veut interdire le plastique, alors que nous sommes le 3ème pays producteur de plastique et que sa production va doubler dans les 5 ans à venir, partout dans le monde » constate Loïk Le Floch Prigent. L’ancien dirigeant parle de « loi des 27 » : dans les autres pays de l’Union européenne, il faut 27 jours, entre la décision pour une entreprise de s’implanter et l’autorisation, quand en France il faut 27 mois. « La seule solution c’est de déménager à l’étranger. »

« En France, on a une certaine sympathie pour le romantisme révolutionnaire : on a une vision poétique du droit de l’environnement. » Sylvain Pelletreau

Justice, appareil d’Etat, classe politique : quelle responsabilité ?

En réalité, n’est-ce pas une question de recours abusifs ? interroge Pascal Perri.

« Le recours est une voie de contestation qui est légitime. Il doit exister », affirme Maître Pelletreau. « Il y a des recours abusifs. Et les magistrats manquent de temps pour traiter tous les recours. Nous, avocats, obtenons parfois des réponses de magistrats que nous ne comprenons pas.  Il serait d’ailleurs judicieux que l’on ait des magistrats spécialisés en droit de l’environnement. On gagnerait du temps ». 

Ce qui inquiète Sylvain Pelletreau, « c’est la réponse de certains politiques aujourd’hui qui, lorsqu’il y a trop de recours déposés, cherchent à museler ceux qui font ces recours. » En plein examen du projet de loi sur les énergies renouvelables au Parlement, les contestations, en provenance des territoires, se font de plus en plus entendre. « Et le Gouvernement en a conscience. Il a même réduit les voies de recours ! » (Sylvain Pelletreau).

Sur ce sujet de l’énergie, « il y a une véritable contradiction qui éclate à l’heure actuelle pour le Gouvernement et le Parlement. »

« Mais cette loi qui porte sur les éoliennes [entre autres] n’aura aucune conséquence sur l’hiver 2022, 2023, 2024, … L’éolien et le solaire ne règleront pas le problème de l’énergie. C’est un mensonge, accepté par une grande partie de la presse ». Loïk Le Floch Prigent.

Monopole des écologistes sur le droit de l’environnement et absence de forte opposition dans le secteur industriel

La frilosité de l’appareil d’Etat par rapport à l’ordre public, l’opportunisme de la classe politique française et un monde industriel focalisé malheureusement sur son cœur de métier font que cette menace écologiste radicale n’est pas prise en compte, constate le directeur de l’Ecole de guerre économique.

« On s’étonne du terme « écoterrorisme ». Mais il existait déjà contre les centrales nucléaires », selon Christian Harbulot.

Les mouvements écologistes ont profité du silence des instances représentatives, souligne Loïk Le Floch Prigent, mais également des industriels, « dans l’incapacité d’expliquer des choses simples au public ». Sur ce point, il faut toutefois avoir en tête la difficulté pour les industriels de rentrer en conflit avec une personne qui a à la fois le pouvoir d’instruction et le pouvoir de sanction, précise Sylvain Pelletreau.

« On a laissé le monopole de la fabrique du droit de l’environnement aux radicaux… Il n’y a pas d’étude solide transversale économique, sociale, environnementale pour fabriquer du droit intelligent. Le droit de l’environnement est fait uniquement en silo. Il n’atteint pas son objectif de protection » Selon Laurent Cappelletti, il faut travailler ensemble à un droit de l’environnement supportable. Le professeur cite les recherches en fabrique des normes qui ont identifié le processus O.A.N.E (Orchestration, Arbitrage, Négociation, Ethique).

Revendications écologistes VS besoins vitaux : un retour en arrière possible ?

3 facteurs peuvent expliquer les intérêts de la mouvance radicale selon Christian Harbulot :

  • Comment faire évoluer une forme de contestation après un échec ? (années 80)
  • Comment vivre d’une rente de situation ? Certains issus de la société civile en vivent très bien.  
  • Comment y a-t-il eu des fractions de l’élite ? Au sein de l’Ecole des Mines de Paris par exemple, un groupe s’est dit que le thème de la transition énergétique pouvait être porteur en termes d’opportunités de carrière. « Et ce groupe s’est positionné à l’intérieur du ministère de l’Ecologie et du CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives). »

« J’attire votre attention sur la notion de besoins vitaux qui va prendre de l’importance dans les années à venir. Ce qui va faire basculer les choses ce sont ces questions de survie. Elles vont submerger les revendications écologistes. On remarque d’ailleurs le silence radio des écologistes sur le retour des questions sur le nucléaire ». Christian Harbulot

Avant de produire des normes, il faut donc définir nos besoins. C’est la pyramide de Maslow : repartir des besoins fondamentaux. On ne peut pas vouloir protéger l’environnement sans penser aux besoins en amont et aux conséquences en aval.Sylvain Pelletreau mentionne le concept de souveraineté environnementale : « Tout doit découler de l’environnement mais rien du dogmatisme. » 

Pour Pascal Perri, il faut reconnaître collectivement que nous nous sommes trompés et accepter un retour en arrière. On a suffisamment d’exemples pour montrer les conséquences dramatiques de cet excès de normes, ajoute Laurent Cappelletti.

Droit de l’environnement et croissance économique ?

Peut-on dire qu’il y a un changement de cap en France ? Et comment cette question est-elle abordée par les pays voisins ? Qu’est ce qui fait qu’en France, on ait un débat aussi polarisé ? Car en Allemagne par exemple, les écologistes gouvernent, souligne Pascal Perri. Mais ils sont pragmatiques, répond Loïk Le Floch Prigent :

« On est en France dans une politique émotionnelle. D’où le retour nécessaire de l’autorité technique. On a un des Parlements qui compte le moins de techniciens. Or la connaissance technique est un préalable à l’action. »

« Lorsque Madame Pannier-Runacher nous dit que la centrale de Fessenheim a été fermée parce que la maintenance n’était pas satisfaisante, elle commet une erreur technique complète. La maintenance d’une centrale nucléaire est assurée jusqu’à sa fermeture ».

Selon Sylvain Pelletreau, aujourd’hui « nous sommes moins vus comme des pro-industriels ». On a des exemples concrets qui montrent que la radicalité écologique conduit aux chaos, partout en France. Il faut sans cesse répéter et faire preuve de pédagogie pour ne plus avoir à faire à une vision manichéenne des méchants et des gentils mais aller vers une vision beaucoup plus pragmatique. Il faut également définir un cap : qu’est-ce que l’on veut pour l’économie en France et surtout pour la population ?

« Les masques tombent. On le voit avec l’exemple des éoliennes allemandes vertueuses qui fonctionnent grâce au gaz et au charbon. Je compte surtout sur les mouvements patronaux alternatifs ». (Loïk Le Floch Prigent)

Nous devons intégrer la fabrique du droit de l’environnement à une vision systémique et transdisciplinaire, et ne pas laisser le droit de l’environnement aux seuls environnementalistes. (Laurent Cappelletti)

Nous devons nous interroger sur la question : « comment produire de la connaissance ? » pour que la réponse soit audible pour la population. Croiser des réseaux, croiser des compétences. Il faut que les industriels réunissent leurs forces pour produire ces connaissances et surtout ne pas compter sur les instruments qui ne fonctionnent plus, conclut Christian Harbulot.