Mardi 4 juillet 2023, 110 personnes étaient au rendez-vous pour le webinaire organisé par Oui à l’Innovation !

Autour de Pascal Perri, qui animait les échanges, 3 intervenants, Guy Richard, directeur de la DPE (Direction de l’Expertise et de la Prospective) à l’INRAE, et coordinateur de la Prospective agriculture européenne sans pesticides en 2050, François Arnoux, agriculteur en Vendée, et Robert-Pierre Cecchetti, arboriculteur, président de la Commission Technique de l’ANPP (Association nationale pommes poires), tentaient de répondre à l’épineuse question : « les scénarios de sortie des pesticides sont-ils réalistes ? »

Au cœur du sujet : l’étude réalisée par l’INRAE, portant sur la thématique suivante : « Vers une agriculture européenne sans pesticides chimiques en 2050 »[1].
Selon l’INRAE, envisager le zéro pesticide conduit à opérer un changement radical de système car l’agriculture conventionnelle, actuellement majoritaire, ne pourrait pas maintenir sa production en stoppant simplement les pesticides sans rien modifier par ailleurs. C’est toute l’organisation de la production qu’il faudrait changer depuis les approvisionnements agricoles jusqu’à la commercialisation des récoltes, la transformation, la distribution des produits alimentaires et les régimes alimentaires. 

Des échanges vifs

L’exercice de prospective « Agriculture européenne sans pesticides en 2050 », réalisé par l’INRAE, et conduite sur deux ans, a pour volonté de mieux cerner les leviers mobilisables et les trajectoires possibles pour supprimer les pesticides chimiques[2]. Elle explore des pistes de solutions en visant un objectif extrême : le zéro pesticide. Une étude qui soulève de nombreuses questions au sein de la communauté agricole : les échanges furent animés.

Les effets des pesticides sur la santé et l’environnement sont bien documentés. Ce qui l’est moins, en revanche, souligne Guy Richard, ce sont les impacts sur les services écosystémiques de l’agriculture : « Les pesticides participent à cette agriculture qui impacte la biodiversité, soutient-il, et participent à l’accélération de l’apparition de résistances ». Par ailleurs, l’utilisation « systématique » des produits phytosanitaires serait un problème inhérent à l’agriculture française : « Comme pour le labour qui n’est plus systématique mais occasionnel, il faut que les phytos deviennent occasionnels ».

Un constat non partagé par les deux agriculteurs présents, qui, selon eux, ne tient pas compte des réalités agricoles : « Nos produits ne sont utilisés que si on en a besoin. La pulvérisation automatique est, aujourd’hui, un mythe ! Il faut effectivement se fixer des objectifs de réduction des phytosanitaires, mais garder les pieds sur Terre. » réagit François Arnoux. Une prise de position partagée par Robert-Pierre Cecchetti : « Sur nos pommiers, nous n’avons pas grand-chose pour combattre le puceron cendré qui fait des ravages en ce moment, par exemple. C’est d’autant plus désolant que les arboriculteurs européens ont, eux, accès à des solutions qui nous sont interdites ».

L’utilisation de pesticides déjà divisée par 2 en 20 ans

Pour les agriculteurs, réduire la quantité des pesticides est possible, mais la perspective du zéro pesticide d’ici à 2050 semble utopique. Les derniers chiffres, publiés le 12 juillet 2023 par le gouvernement, montrent que ces quantités étaient de 43.013 tonnes en 2022. Certes, il s’agit d’une légère augmentation de 0,7% sur l’année, mais ce volume « représente une baisse de 20% par rapport à la moyenne 2015-2017 », a souligné le gouvernement. Sur un temps long, les volumes d’aujourd’hui représentent seulement 35% de ceux de 1999, qui s’établissaient alors à 120 000 tonnes.

Pourtant, l’INRAE soutient que la feuille de route d’ici à 2050 n’est pas une pression sur les agriculteurs : « Il ne s’agit que d’une étude prospective. Il ne s’agit pas de demander tous ces sacrifices aux agriculteurs immédiatement : le chemin qui nous conduit de la situation actuelle à 2050 n’est pas quelque chose qui se fera instantanément », explique Guy Richard. Les agriculteurs démentent : Farm to Fork leur a laissé la désagréable impression d’être pris à la gorge.

L’étude, partie intégrante du Green Deal, ou Pacte Vert pour l’Europe, adoptée par la Commission Européenne le 19 octobre 2021, vise à garantir l’accès à tous à une alimentation équilibrée, et surtout à une minimisation de l’impact de l’agriculture sur la biodiversité et les émissions de CO2. Ainsi, elle prévoit, entre autres, d’ici à 2030, une réduction de 50 % des pesticides. Une vision qui semble irréaliste pour François Arnoux et Robert-Pierre Cecchetti : « Quel niveau de perte peut-on subir sans que ça ne remette en cause nos exploitations ? » s’interroge Robert-Pierre Cecchetti. « Le temps de l’agriculture n’est pas celui des politiques, renchérit François Arnoux, il y a un décalage temporel clair entre les interdictions et les innovations ».

En effet, les agriculteurs dénoncent une lenteur de l’innovation, par rapport aux demandes des politiques. Si des méthodes sont effectivement testées au quotidien, elles ne sont pas suffisamment efficaces : « le biocontrôle, par exemple, ce sont des efficacités partielles. C’est insuffisant, même avec les auxiliaires, pour avoir un résultat économique. », remarque Robert-Pierre Cecchetti.

Mais Guy Richard ne partage pas ce point de vue : « Ce qui freine au niveau de l’innovation, c’est l’incertitude sur l’avenir. Quand on sait où on va, l’innovation n’est pas pénalisée ». Ainsi, avec un calendrier et un chemin de route clairs, la directive serait donc applicable selon lui.

Au cœur du débat : la souveraineté alimentaire

En février dernier, l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire) a initié le retrait des produits phytosanitaires à base de S-métolachlore, qui « polluerait les eaux souterraines ». Ce produit phytosanitaire, présent dans douze produits disponibles pour les agriculteurs français est très efficace pour le désherbage. Si Marc Fesneau n’avait pas donné son aval concernant cette interdiction, avançant des arguments économiques, l’ANSES a néanmoins pris la décision de promulguer l’interdiction. Si l’autorisation de mise sur le marché du S-métolachlore a été prolongée jusqu’en novembre 2024, cette interdiction, qui arrivera dans tous les cas, inquiète : « La production semencière sera durement impactée, déplore François Arnoux, l’interdiction du S-métolachlore va mettre en péril l’excellente filière semences que nous avons en France ».

Le problème, selon les agriculteurs, est que l’obsession de « laver plus blanc que blanc » entache durablement la souveraineté alimentaire française, et, par ricochet, les rendements des producteurs. En effet, si la réglementation européenne est observée par la sphère agricole française, il n’en est pas de même pour le reste des pays, et l’importation n’est pas, pour autant, ralentie. Ainsi, les agriculteurs français se retrouvent face à une concurrence déloyale, avec des prix de leur marchandise qui, inévitablement, montent, face aux prix des importations qui restent non-concurrentiels. Les derniers exemples en date, la pomme polonaise, traitée à l’acétamipride, traitement interdit en France, ou la tomate marocaine, et, bientôt, la betterave sucrière, laissent au monde agricole une amère sensation de concurrence déloyale.

Une agriculture française saluée pour sa durabilité

Pourtant, François Arnoux insiste : « On a en France l’alimentation la plus saine au monde, et la plus durable. On ne nie pas les risques des pesticides, mais il y a eu une prise de conscience et une maîtrise. ». Et de renchérir : « Nous ne sommes plus indépendants sur beaucoup de production : ça veut dire que la méthode ne fonctionne pas ! Une méthode qui ne fonctionne pas, on doit la changer. Pourquoi vouloir réduire la production en partant du principe qu’il faut supprimer les phytos, au lieu de produire le maximum avec les moyens que l’on a, ce qui serait plus efficient ?».

               Mais, alors, quelles sont les scénarios que proposent l’INRAE pour une sortie des produits phytosanitaires optimisée ?

Tout d’abord, un changement d’alimentation : Guy Richard souligne ainsi que les européens auraient un régime alimentaire trop riche, que la part de produits animaux issus d’élevages intensifs serait trop importante, et 20 % de l’alimentation serait gaspillée : « Il y a une nécessaire prise de conscience sur l’impact de l’alimentation sur l’environnement, et les agriculteurs ne peuvent pas supporter seuls le poids du changement », insiste-t-il.

Si les agriculteurs sont, dans l’ensemble, d’accord avec ce postulat, ils tempèrent : « Il faut changer nos relations avec le commerce international, et les habitudes de alimentaires de nos concitoyens, mais il y a un coût à ça », réagit François Arnoux. Ainsi, ils soutiennent que le problème réside au plus haut : une prise de décision qui se ferait « à la place des gens », notamment avec l’exemple du bio, qui ne rencontrent pas le succès escompté, avec une demande en face qui n’est pas présente. « C’est la demande qui tire le système et le fait évoluer », insiste ainsi Robert-Pierre Cecchetti.

Donne des garanties aux agriculteurs

Ensuite, l’INRAE préconise une organisation et un changement du paysage, avec un développement du biocontrôle, les apports du numérique et des agroéquipements, notamment.

Les apports du numérique sont bénéfiques aux yeux des agriculteurs, notamment grâce à la pulvérisation de précision, qui permettra de réduire jusqu’à 70 % d’herbicides. Néanmoins, si les bénéfices du biocontrôle sont également appréciés, la lenteur des innovations effraie les agriculteurs : « Le biocontrôle, c’est de 50 à 60 % d’efficacité. Sans protection efficace, on n’arrive pas à protéger nos productions », s’inquiète Robert-Pierre Cecchetti. En clair : qui accepterait de risquer sa production et son revenu à la roulette russe ?

               Enfin, François Arnoux conclut, en soulevant les légitimes questions du futur de l’agriculture, et notamment celle de la main d’œuvre : « comment motiver l’agriculture et les jeunes agriculteurs si on leur donne tant d’interdiction ? ».



[1] 27 mars 2023
[2] Selon l’INRAE, « ce terme inclut à la fois les pesticides de synthèse, que la molécule existe ou non naturellement, les substances extraites d’un organisme vivant et substances minérales comme le cuivre et le soufre. Il exclut les organismes vivants (microorganismes et auxiliaires de culture) utilisés en biocontrôle. »