La première chose que ces substances perturbent, c’est sans doute notre sang froid. L’opinion publique s’est emparée de ce sujet de manière absolument passionnelle.
Elle voit des perturbateurs endocriniens partout. Et de fait, il y en a partout. Il suffit d’en recenser les manifestations pour dresser une sorte de liste à la Prévert.

Définition de l’OMS : « substances chimiques d’origines naturelles ou artificielles étrangères à l’organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets délétères sur cet organisme ou sur ses descendants ».

Ils sont partout

Ces micro-polluants se retrouvent dans les poignées de valises (phtalates), la plupart des articles en PVC, dans les textiles (vêtements, tissus, tapis, moquettes), mais aussi dans nos ustensiles de cuisine (revêtements anti-adhésifs), dans les enduits, les revêtements adhésifs, les cires à parquet, les emballages carton, papier (composés perfluorés), lovés au cœur de nos canapés, cachés dans nos matelas (retardateurs de flamme). Les perturbateurs endocriniens colonisent les cosmétiques (parabènes, triclosan etc), les crèmes solaires (filtres chimiques), les produits d’entretien (éthers de glycol) certains poissons en fin de chaîne alimentaire (polychlorobiphényles), les récipients alimentaires fabriqués avant janvier 2015 (bisphénol A). Il y a des perturbateurs endocriniens dans l’huile essentielle de lavande, dans l’huile essentielle d’arbre à thé… Bref, il y a des perturbateurs endocriniens dans notre époque ! Figurez-vous qu’il y en aurait aussi dans le paracétamol !

A quels risques nous exposons-nous si…

La question fondamentale sur le sujet des perturbateurs endocriniens tient à la notion d’exposition. C’est l’exposition qui permet d’articuler l’idée de risque encouru avec celle de danger réel. Les principales sources d’exposition aux perturbateurs endocriniens sont l’eau, l’alimentation (cf emballages, sols, résidus hormonaux), mais aussi l’air et les cosmétiques. Nous ne sommes exposés à ces perturbateurs endocriniens qu’à des échelles infinitésimales, très inférieures aux seuils de toute dangerosité. Nous ne sommes pas non plus tous égaux devant tel ou tel risque. Cela permet d’approfondir la notion d’exposition. Plutôt que de normaliser des mesures préventives à l’échelle d’une population, il semble tellement plus judicieux d’adapter les précautions à prendre en fonction des populations à risque (habituellement, femmes enceintes, nourrissons, personnes âgées ou malades).

Conscience sans science…

Paradoxalement, tout développement de produit ou presque achoppe sur une considération prohibitive : recèlera-t-il, ou non, de ces perturbateurs endocriniens ? Loin de nous l’idée de nous opposer aux nécessités de la prophylaxie ou aux avancées de la santé publique mais… Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, dit le poète. L’inverse n’est-il pas également vrai ? Aussi, Oui à l’innovation ! se situe entre deux conceptions, nous semble-t-il, erronées du monde. La première se figure que l’homme est capable d’un progrès sans limite. C’est Prométhée désireux de tutoyer les Dieux coûte que coûte. L’autre imagine l’homme en mesure de sauver le monde et les hommes de leurs propres turpitudes par les sentiments moraux dont il s’enorgueillit. Il est le gardien de la Terre. Notre vision raisonnable est la suivante : il existe un progrès utile à tous, accessible et promis à l’intelligence humaine, qu’il est de notre devoir de cultiver dans le respect des fondamentaux sur lesquels s’est érigée notre civilisation.

De nouveaux Cathares de la surréglementation

La question du bisphénol A est emblématique du sujet. La substance a théoriquement disparu de nos contenants alimentaires en janvier 2015, ses substituts, pour la plupart d’autres bisphénols, ne sont guère plus recommandables d’un point de vue sanitaire. Leur toxicité est sans doute comparable, mais leur emploi n’est manifestement pas pour autant régulé. La course à la pureté sanitaire semble s’être arrêtée à l’idée de palliatif. D’où cette question théorique, valable dans bien d’autres domaines, : existe-t-il aujourd’hui sur le marché des substituts efficaces, dont innocuité soit supérieure ou égale à celle du produit suspecté ?

On ne nous ôtera pas de l’idée qu’il y a là comme une forme de nouveau catharisme. Il serait possible d’atteindre une certaine pureté comportementale, rendue enfin possible par l’ascèse d’une surréglementation. Les « purs » pensent ainsi pouvoir ajouter au monde sans jamais rien lui enlever. Haro sur ceux qui n’agiraient pas de manière telle.

Le bébé avec l’eau du bain

Il existe sur tous ces sujets de profonds désaccords au sein de la communauté scientifique. Le grand risque auquel est confronté notre société est de jeter un peu hâtivement le bébé avec l’eau du bain. Sous prétexte de nous prémunir contre les effets méconnus de substances qui sont manifestement omniprésentes, et interagissent avec notre système hormonal, nous pouvons renoncer de manière inconsidérée à des avancées technologiques, médicales, humaines précieuses pour tous.

Les précautions qu’appelle le principe de précaution

À ce jour et à quelques rares exceptions, les conséquences délétères des expositions aux perturbateurs endocriniens sur la santé humaine n’ont pas été établies de manière scientifique. Les travaux science qui se sont multipliés et fréquemment contredits autour des perturbateurs endocriniens ne permettent pas de se faire une raison sur le sujet. Et ce, d’autant que les perturbateurs endocriniens ne constituent pas une menace homogène. Ils regroupent sous un même nom des substances hétéroclites qui ne possèdent en commun que la faculté interagir avec notre système hormonal. Ils offrent, mais peut-on encore le dire, une occasion unique de nous interroger sur la nature de l’activité humaine. Loin du manichéisme ambiant, les perturbateurs endocriniens nous invitent à réfléchir sur nos peurs. Et particulièrement sur celles dont nous sommes les auteurs.

A y bien regarder, que nous disent ces phobies que suscitent les manifestations inéluctables de notre progrès économique, industriel, scientifique, technologique ? Que nous cachons la peur de répondre à notre vocation derrière celle d’en faire mauvais usage. Le progrès est consubstantiel à l’humanité. Y renoncer, pour des motifs fallacieux, c’est sans doute abjurer la foi dans l’homme.

Oui à l’innovation entend ainsi ouvrir le débat sur les enjeux épistémologiques et sociétaux liés à notre interprétation radicale du principe de précaution. Quelles précautions devons-nous prendre avec ce principe ?