LE FIGARO
Entretien avec Pascal Perri

Le 15 août 2010, une soixantaine de « faucheurs volontaires » pénétraient sur un site de l’INRA pour détruire un pied de vigne transgénique. L’économiste et journaliste Pascal Perri décrypte les enjeux du nouveau procès qui s’ouvre aujourd’hui à la Cour d’Appel de Nancy.

II y a neuf ans, le 15 août 2010, une soixantaine de « faucheurs volontaires » pénétraient sur un site de l’INRA pour détruire un cep de vigne OGM. Ils seront jugés à nouveau en appel à partir de ce mercredi 27 mars, car le premier procès en appel a été cassé. Quels sont les enjeux de ce nouveau procès ?

L’enjeu véritable est de savoir si les chercheurs pourront poursuivre leur recherche agronomique en France. La communauté scientifique observera les débats avec une certaine anxiété. Les faucheurs volontaires ont été condamnés en première instance au pénal avec des peines de prison avec sursis et des jours-amendes, tout comme au civil avec plus de 50 000 € de dommages et intérêts en faveur de l’INRA. Ils ont été relaxés en Appel mais la Cour de Cassation est revenue sur la relaxe et a renvoyé l’affaire à la Cour d’Appel de Nancy pour ce procès du 27 mars 2019. Attendons donc la décision de la Justice.

Comment voulez-vous que des industriels investissent dans notre pays si on laisse vandaliser des essais ?

La destruction du site de l’INRA est cependant lourde de symbole. Tout d’abord sur le plan scientifique. Comment peut-on détruire un essai financé par la recherche publique (il visait à étudier un mécanisme de résistance à une maladie de la vigne, le court-noué)? Par ailleurs, sur le plan démocratique, comment peut-on justifier un saccage alors que la démarche autour de cet essai de Colmar était co-construite avec la société civile ?

Le résultat est catastrophique pour les chercheurs français et les laboratoires. Comment voulez-vous que des industriels investissent dans notre pays si on laisse vandaliser des essais ?

Aujourd’hui, alors que les actions radicales contre les OGM sont moins fréquentes, où en est l’opinion sur ces techniques controversées ?

La France a adopté un moratoire contre les OGM en 2008. Il n’y a donc plus d’OGM cultivés sur le sol français. Les Français sont sceptiques dans la mesure où le débat est systématiquement confisqué, avec des arguments peu scientifiques. Nous n’aurions, soi-disant, pas assez de résultats pour juger de l’innocuité des OGM… Voilà plus de 40 ans que certaines variétés sont cultivées dans le monde, et que nous en avons dans notre alimentation sans le moindre problème sur notre santé! Il serait intéressant par exemple que ces groupuscules environnementalistes nous disent ce qu’ils pensent de la toute dernière décision du Bangladesh, qui vient d’autoriser les cultures de riz doré OGM. Il permet de combler les carences en vitamine A des jeunes enfants. L’enjeu n’est pas anodin: 250 000 à 500 000 enfants y perdent la vue chaque année en raison de ces carences, la moitié meurt dans l’année qui suit.

Est-il possible d’obtenir des résultats scientifiques fiables quant aux risques sur la santé? L’influence des lobbies, y compris sur la recherche, est souvent pointée du doigt. La même année que le fauchage de Colmar, on apprenait que la présidente de l’agence européenne de sécurité alimentaire avait maquillé son CV pour dissimuler ses liens avec l’agrobusiness. Plus récemment éclatait le scandale des « Monsanto papers »…

Les pratiques d’influence comme le ghostwriting sont réelles et doivent être condamnées. Mais attention à ne pas verser non plus dans le complotisme… Votre question porte sur la sincérité et la crédibilité de la recherche. Les experts scientifiques ne vivent pas dans des tours d’ivoire et ne sont pas coupés du monde. Ils lisent les médias, regardent eux-aussi les reportages hostiles aux OGM. Lorsque ces experts se penchent sur les études qui leur sont présentées, ils en connaissent parfaitement les tenants et aboutissants. Ils connaissent par exemple les affiliations avec Monsanto.

Bref, ceux qui font l’examen de ces études ne sont pas dupes. Que chacun reste dans son domaine de compétence: laissons aux scientifiques le soin de livrer leur expertise et aux pouvoirs publics les moyens de leur garantir l’indépendance dans leur jugement.

Les altermondialistes, les écologistes radicaux ont appris à investir les médias.

Mouvements de contestation des paysans, actions illégales des défenseurs des droits des animaux, faucheurs volontaires… Sur les questions liées à l’écologie et l’alimentation, la violence des moyens d’action est souvent frappante. Pourquoi ces contestations sont-elles parfois si radicales ?

Nous vivons dans une société d’opinion. Les groupes qui utilisent des techniques violentes ou spectaculaires jouent avec la force des symboles. C’est leur seule arme pour attirer l’attention. La vérité y perd ce que l’apparence y gagne. Il y a aussi dans ces mouvements un substrat culturel qui conteste la légitimité de l’État, les vérités de la science, l’industrie, la recherche, en un mot le progrès. L’alimentation est un sujet sensible pour les familles. Il est toujours efficace de jouer sur les peurs. Elles sont plus puissantes que la raison. Dans une société marquée par le doute, toute alerte sur la santé est perçue comme une menace. On confond volontiers le danger et le risque. Les altermondialistes, les écologistes radicaux ont appris à investir les médias comme un champ autonome, avec ses règles de fonctionnement. Ils savent parfaitement marquer l’opinion et dans certains cas, ça marche.